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Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)

Publié le par Kevin

Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)

-1-

Une douleur dite sourde est une douleur difficile à localiser et qui n’a pas de cause apparente. Dunkirk est un film saturé d’une menace ambiante terriblement sourde.

Peu de dialogues, peu de musique et une intrigue qui se déroule sous nos yeux implacablement, les événements s’enchainant platement, scientifiquement en quelque sorte.

Le fait qu’on ne voit jamais un seul allemand et que la plupart des attaques proviennent d’un hors champs menaçant ajoute à cette inéluctabilité : les personnages ne sont pas agents de leur destin, ils ne contrôlent pas l’intrigue mais sont ballotés à gauche à droite par des événements extérieurs sur lesquels ils n’ont que peu d’emprise.

C’est surtout la musique qui m’a donné ce sentiment d’incapacité à localiser le centre du mal. Elle décrit une action en suspension constante, un mal en plein déroulement et qui transcende ce qu’il se passe à l’écran.

Imaginez les soldats qui aperçoivent un avion allemand qui s’apprête à les bombarder. Ils s’enfuient, se couchent, crient et paniquent. L’avion largue ses bombes, nous voyons le carnage résultant. L’avion s’éloigne. Les différentes phases de cette scène sont toutes accompagnées de la même musique qui ne traduit qu’une tension générale indéfinie. Pas de 1-« appréhension » 2-« massacre » 3-« soulagement d’être en vie mais nouvelle appréhension ». Juste le même sentiment d’un bout à l’autre.

Ce que cette musique suggère, c’est qu’il ne se passe rien car les soldats n’échappent aucunement à la mort. Ils peuvent échapper à ce bombardement, il n’existe rien qui leur permettra d’échapper au suivant, ou au sous-marin qui coulera leur bateau et les mènera à la noyade. La musique ne dit que « c’est probablement maintenant qu’ils vont mourir » sans suggérer qu’ils ont une raison de se battre pour rester en vie.

Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)
Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)

J’aurais aimé pouvoir décrypter le sens des différents axes temporels présents dans le film. La plage pendant une semaine, le soldat pendant une journée, les avions pendant une heure. Je suis persuadé qu’il y a quelque chose à en tirer. Hélas, je n’ai vu le film qu’une seule fois.

Tout ce que je peux dire c’est que le soldat tremblant joué par Cilian Murphy opère une transformation majeure en passant d’un axe temporel à l’autre. On le voit survivre à un naufrage et remonter le moral de ses troupes, plein de courage et de confiance, puis ensuite il est trouvé par un bateau civil, recroquevillé sur une épave, fou de terreur à l’idée de retourner à Dunkerque. L’utilisation précise de deux axes temporels a un effet que je trouve magnifique : on ne sait pas à combien de naufrages il a survécu. Spontanément, on pense à deux mais en réalité cette mise-en-scène suggère un trou noir qui aspire tout. Le soldat le plus confiant a vécu suffisamment de naufrages pour devenir le pire des lâches. C’est ce constat qui est fait : aucun être humain ne peut atteindre l’Angleterre. Comme si une force surnaturelle faisait barrage.

Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)
Dunkerque : Anglais VS Anglais (1500 mots)

-2-

Pourtant, la patrie est parfois visible de la plage française. On peut traverser la manche à la nage, ou en barque. Comment est-il possible que cette simple retraite soit si incroyablement difficile ? C’est là que toute l’atmosphère sourde du film prend son sens : Ce ne sont pas les allemands qui éliminent les anglais.

Lorsque Tommy parvient enfin à monter dans un bateau, il reçoit une tranche de pain avec de la confiture dessus et se fait subtilement emprisonner comme tous les autres dans un sarcophage flottant. Un sous-marin torpille le bateau et Tommy ne doit sa vie qu’à un soldat français qui refusait de se réjouir trop vite, était resté sur le pont du navire et a pu ouvrir la porte blindée. Pourquoi les soldats étaient-ils enfermés ?

Edit: Le pain et la confiture n'ont aucune raison d'être là alors que la traversée dure 1h30 et que le temps presse => Les soldats peuvent attendre la terre ferme pour se restaurer. Le temps de charger de la nourriture à bord est autant de temps laissé aux allemands pour tuer des gens sur la plage de Dunkerque. Le pain et la confiture servent d'appât pour attirer les soldats à l'intérieur du bateau et les y enfermer.

J'aimerais beaucoup savoir ce que ça signifie. Beaucoup. En quoi la débâcle réussie de Dunkerque a-t-elle fait de notre monde ce qu'il est aujourd'hui ?

J'aimerais beaucoup savoir ce que ça signifie. Beaucoup. En quoi la débâcle réussie de Dunkerque a-t-elle fait de notre monde ce qu'il est aujourd'hui ?

Au début du film, le commander Bolton parle du nombre de survivants que Churchill espère voir revenir au pays : 35 000. Ils sont 400.000 sur la plage. On peut se dire que le premier ministre anglais est au courant que la manche est saturée de sous-marins et de bombardiers allemand et que son estimation est réaliste et lucide. Ou on peut se dire qu’il n’en a rien à faire de sauver une armée de lâches et que son estimation trahit une indifférence à leur sort… voire pire.

Le fait qu’on ne voit aucun allemand dans le film devient bien plus « sourdement » inquiétant. Y a-t-il des allemands ?

Personnellement, dès le départ, j’ai essayé de me rappeler ce que je savais sur l’entrée en guerre des américains, assez peu de choses, si ce n’est qu’ils ne se sont pas pressés. Lorsqu’à la fin de l’histoire Tommy lit la déclaration de Churchill dans le journal et son appel « au nouveau continent », la réaction du soldat (superbement mise en valeur) m’a fait me sentir assez mal. En gros, Churchill voulait un massacre pour s’en servir comme argument pour faire entrer l’Amérique dans la guerre. En tout cas, c’est ce que pourrait suggérer le film.

Ce qui sauve nos soldats c’est un « miracle » comme le dit le trailer. Il a fallu un miracle pour que des soldats puissent traverser la manche et rentrer chez eux ! Tommy répète tout le film « I wanna go home ! » Ils ne représentent plus aucune menace pour l’armée allemande, ils ne sont certainement pas la cible numéro 1 et pourtant on dirait que l’univers entier a décidé de les exterminer jusqu’au dernier. Leur situation est contradictoire, et cette contradiction s’explique par le fait que les allemands ne représentent pas leur plus gros obstacle.

Pourquoi est-il tant question de survie à 35km de chez eux ? Oui, je sais c'est le paradoxe que nous raconte le film, mais tout repli ne se transforme pas en une question existentielle comme celui-ci. Généralement c'est plutôt "replions nous pour ne pas crever," "perdre le combat pour garder la vie." Mais ici la logique est inversée. Cela suggère que le film raconte une bataille dans laquelle l'un des camps recherche activement l'éradication des soldats anglais. Or, ce n'est pas le camp Allemand puisqu'ils annoncent dès le début la couleur:

Pourquoi est-il tant question de survie à 35km de chez eux ? Oui, je sais c'est le paradoxe que nous raconte le film, mais tout repli ne se transforme pas en une question existentielle comme celui-ci. Généralement c'est plutôt "replions nous pour ne pas crever," "perdre le combat pour garder la vie." Mais ici la logique est inversée. Cela suggère que le film raconte une bataille dans laquelle l'un des camps recherche activement l'éradication des soldats anglais. Or, ce n'est pas le camp Allemand puisqu'ils annoncent dès le début la couleur:

"Surrender Survive" "rendez-vous et vous vivrez"

"Surrender Survive" "rendez-vous et vous vivrez"

"Sourd," c'est l'adjectif qui me reste. Les allemands savent que Churchill va sacrifier les soldats sur la plage. Le soldat français qui tue un anglais pour lui prendre son uniforme sait également qu'il n'y a pas de sauvetage conséquent à espérer. Tom Hardy a-t-il pour mission d'abattre le commandant Bolton ? (Edit: oui, c'est pour ça qu'à la fin il n'atterrit pas sur l'eau comme son pote, il n'a plus aucune raison de retourner en Angleterre où il serait exécuté pour trahison). Il n'est clairement pas envoyé pour celle qu'il accomplit. Le film est saturés d'éléments étranges et décalés qui suggèrent constamment une autre lecture des événements que la plus évidente.

 

-3-

Il y a une intrigue métaphorique assez intéressante entre Mr. Dawson, Farrier et George.  

Il y a clairement un plan qui suggère que Farrier est le fils mort de Dawson. Cela ne signifie pas que c’est littéralement lui (et que l’armée aurait uniquement camouflé son entrée dans les forces spétiales) mais ce plan est là. Or, cela donne au déroulement des événements un sens tout particulier. Farrier est le miracle du film. C’est le super héros qui sauve tout le monde et qui permet aux anglais d’enfin pouvoir rentrer chez eux. Sans lui, tout le monde est mort (et en particulier le commandant Bolton qui tient la plage). Sauf que ce sacrifice, il le fait parce qu’il voit que des civils sont en danger, pas des soldats. Il aperçoit les bateaux civils et décide de continuer le combat et devient un « ange » => il vole sans carburant et abat les derniers avions allemands en planant.

Il y a sur le bateau de Dawson un jeune homme qui meurt de vouloir passer dans le journal : être un héros pour que sa famille soit fière de lui. La guerre devient donc le lieu où les familles ont envoyé leurs enfants à la mort par vanité. Dawson se mord sans doute les doigts d’avoir encouragé son fils à entrer dans l’aviation et c’est sa honte qui le pousse à aller chercher tous ces jeunes hommes bloqués à Dunkerque. Il veut éviter à d’autres de commettre son erreur et d’endurer sa souffrance.

Edit: je me demandais pourquoi George semblait essayer de fuir les autorités lorsqu'il grimpe dans le bateau. Mais les autorités sont peut-être là pour empêcher l'opération de sauvetage, d'où la manière dont les gilets sont embarqués presto. Je pense donc, qu'il y a ici un truc à voir dans l'axe temporel. Au début de la semaine Churchill demande l'aide des civils pour sauver les soldats et à la fin, l'opération a été annulée et les marins qui partent risquent l'arrestation.

Lorsqu'il grimpe dans le bateau, George est en train de fuir les autorités, pourquoi ? Un suspense est même instauré alors qu'ils chargent les gilets de sauvetages.
Lorsqu'il grimpe dans le bateau, George est en train de fuir les autorités, pourquoi ? Un suspense est même instauré alors qu'ils chargent les gilets de sauvetages.

Lorsqu'il grimpe dans le bateau, George est en train de fuir les autorités, pourquoi ? Un suspense est même instauré alors qu'ils chargent les gilets de sauvetages.

Mais tout échouerait si Farrier n’intervenait pas. Bien sûr, le film ne nous raconte les faits qu’en se focalisant sur une poignée de soldats mais ceux-ci représentent l’intégralité des soldats qui battaient en retraite. A la fin du film, sans l’intervention de Farrier, le bateau coule et les soldats meurent brûlés dans le kérosène ou bombardés. C’est l’esprit du fils mort qui revient se battre pour sauver ceux qui peuvent encore l’être. Lorsque Farrier sauve Dawson, le père peut se dire que son fils l’a pardonné.

Edit: Farrier sauve Bolston d'une manière très étrange. Il le sauve de l'attaque du hors-champs démoniaque. En fait, Farrier devait aller tuer le commandant et cette menace finale représente le climax durant lequel Farrier trahit son pays. Raison pour laquelle il va atterrir sur la plage plutôt que l'océan parmi les bateaux qui le repêcheraient et le ramèneraient en Angleterre où il serait exécuté pour sa trahison.

 

L’histoire du film est celle d’une tragédie affective.

Des parents ont envoyés leurs enfants à la guerre comme si ces enfants ne mériteraient plus leur amour s’ils ne le faisaient pas. Or, envoyer n’importe qui à la guerre par « devoir », c’est aussi dire « je préfère te voir mourir que me décevoir, me faire honte. Le qu’en dira-t-on est plus important que ta vie. » Les anglais ont perdus leur combat et lorsque les soldats rentrent au pays, la seule utilité stratégique que Churchill leur trouve, c’est la mort. S’ils meurent pratiquement tous, cela attirera l’attention de l’Amérique. Nous sommes donc au nœud gordien de la problématique, les parents vont-ils ravaler leur fierté ridicule et oser aimer ceux qui, selon leur propre logique, devraient leur faire honte, ou vont-ils les laisser mourir ?

A la fin du film, un vieil homme accueille les soldats en leur lançant étrangement « bravo, bravo » et en leur donnant des couvertures cela sans les regarder dans les yeux. Alex l’interprète comme la preuve que l’homme les méprise parce qu’ils ont perdus. Cependant, cela pourrait aussi bien être le sentiment d’être indigne de les regarder dans les yeux qui empêche cet homme de le faire car il a un jour préféré sa fierté nationale à leur vie à tous. Il est submergé par la honte lorsqu’il accueille le peu d’entre eux qui ont survécus et que le pays n’a même pas réellement tenté de sauver.

Je trouve qu’il y a donc plusieurs éléments assez originaux très appréciables pour un film de guerre. 1- C’est l’amour qui donne la victoire dans ce film. Et pas à coup de bisous. Simplement parce qu’aimer, c’est donner une valeur. Et constater l’amour donne la force de se battre. Je pense que c’est une morale très pertinente à notre époque où nous débordons de moyens mais n’avons strictement rien d’aimable à défendre. Notre société est haïssable, qui lèverait le petit doigt ou prendrait le moindre risque pour la sauver ? Toutes les technologies de la terre sont impuissantes face à l’absence d’amour. 2- Cette idée de honte intense d’avoir demandé un sacrifice absurde. Les petits anglais sont peut-être même sacrifiés non pas parce qu’ils ont perdu mais parce que le pays a trop honte de les avoir envoyés. 3- La logique des escarmouches, sans héroïsme, sans combat. Des armes inutiles. Des ennemis invisibles qui ne sont peut-être même pas dans le camp adverse.

Pourquoi faire un film en 2017 dont la morale est qu’il n’y a pas de honte à s’enfuir, à vouloir rentrer là où on nous attend et où on nous aime, arrêter de chercher à prouver quelque chose ? Il va faire augmenter le chômage Nolan.